Mathieu.
Un père de deux enfants, chauffeur de camion, pas du genre à se plaindre.
Ce matin-là, il voulait simplement renouveler son permis de conduire.
Un simple clic.
Mais ce clic a déclenché une avalanche d’erreurs, de files d’attente, de rendez-vous annulés, de fausses promesses et de fraudes numériques. Ce qu’il ne savait pas encore, c’est que ce geste banal allait devenir le symbole d’un échec numérique historique au Québec : SAAQclic.
Et il n’était pas seul.
Des milliers de Québécois ont vécu ce même moment.
Et nous sommes tous tombés avec lui. Une révolution numérique à 460 millions $
Février 2023. Le gouvernement du Québec lance SAAQclic, un portail en ligne ambitieux visant à moderniser la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ).
Mathieu, comme beaucoup, y voit une belle avancée : plus besoin de se déplacer, tout pourra se faire en ligne.
Mais très vite, les problèmes émergent. Le système est mal testé, les employés sont mal formés, et surtout, le budget double : on passe de 275 à plus de 460 millions $, sans livrer un service fonctionnel.
“Un projet numérique qui n’était pas prêt, mais qu’on a lancé quand même.”
Le clic de trop : quand tout déraille
Mathieu clique pour renouveler son permis.
Erreur système. Page blanche.
Il réessaie. Encore un échec.
Il finit par se rendre au centre de services SAAQ le plus proche.
Sur place : une file d’attente qui s’étire jusque dans le stationnement. Des gens fatigués, frustrés, découragés.
Une employée lui confie discrètement :
« Beaucoup de gens ont des problèmes avec SAAQclic… Ça arrive tous les jours. »
Dans la file, une mère avec un bébé pleure : elle a manqué son rendez-vous à cause d’un bug.
Sur Reddit, les commentaires fusent :
“Le site fonctionne comme un projet de fin d’année d’un étudiant en informatique au cégep.”
“Aucun soutien. Aucun suivi. Aucun respect.”
Face au tollé, le ministre Éric Caire, responsable du numérique, démissionne en avril 2023 après une série de ratés.
“C’est un désastre organisé.”
Mai 2025 : la panne totale du Québec
6 mai 2025. Mathieu essaie encore.
Mais cette fois, tout le système tombe en panne.
Plus de SAAQclic. Plus de services. Même les centres physiques ferment temporairement.
40 000 rendez-vous sont annulés en moins de 48 heures.
La SAAQ annonce d’abord que le problème vient de Microsoft Azure.
Mais après enquête, la vérité sort : la panne a été causée par une mauvaise mise à jour interne. Aucune sécurité. Aucun plan de secours.
“On avait misé gros sur ce virage numérique. On a tout perdu.”
Le gouvernement réagit en urgence et lance la Commission Gallant, dirigée par le juge Denis Gallant, pour faire toute la lumière sur ce fiasco.
Une plateforme qui attire les fraudeur
Décembre 2024. Mathieu reçoit un texto :
“Votre remboursement SAAQclic de 38,50 $ est prêt. Cliquez ici.”
C’est un site frauduleux imitant l’interface officielle de SAAQclic et redirigeant vers une fausse page Interac.
Des milliers de Québécois tombent dans le piège. Le crime est bien organisé, avec des serveurs hébergés en Allemagne, mais des numéros d’envoi québécois pour gagner en crédibilité.
“Les gens pensent que c’est officiel, car le nom ‘SAAQclic’ apparaît. C’est une vraie crise de confiance.”
Avril 2025 : une nouvelle vague de hameçonnage encore plus sophistiquée déferle.
Les victimes s’accumulent, les pertes financières aussi.
La Commission Gallant : vers un jugement
En mars 2025, après une pression médiatique et populaire, le gouvernement forme la Commission Gallant pour enquêter sur l’échec SAAQclic et sa gestion interne.
Les constats sont accablants :
- Aucune stratégie de déploiement
- Aucun plan de contingence
- Mauvaise gestion des données
- Dépassements budgétaires majeurs
- Et plus de 1,1 milliard $ dépensés pour un portail encore instable
“Un château de cartes construit avec l’argent des citoyens.”
SAAQclic : Qui a tué la confiance ?
Il n’y avait pas encore de nom.
Pas de coupable.
Juste un malaise. Une colère molle qui s’étendait, de clic en clic, d’échec en échec.
Les gens faisaient la file. Le site tombait. Les textos frauduleux pleuvaient.
Et là-haut, dans les bureaux feutrés du pouvoir, on restait figé.
Jusqu’au jour où le mot est tombé.
Enquête.
La Commission Gallant a ouvert ses portes.
Et soudain, le pays tout entier a entendu une autre question gronder en sourdine :
Qui a tué la confiance ?
L’envers du clic
Le projet devait être une révolution.
SAAQclic, lancé en 2023, promettait aux Québécois la fin des files d’attente, des formulaires papiers, du stress.
Un portail moderne, simple, efficace.
Mais dès les premières semaines, la promesse s’effondre.
Mathieu, chauffeur de camion, clique pour renouveler son permis : erreur.
Il réessaie : échec.
Il finit par faire deux heures de file dans un centre surchargé.
À côté de lui, une mère en larmes, un étudiant furieux, un retraité perdu.
“On était censés sauver du temps. On a perdu notre patience.”
— Un agent, débordé

Un chantier à 1,1 milliard
Sous le capot, c’est encore pire.
La Commission Gallant révèle l’ampleur du désastre :
- Budget initial : 275 M$
- Révision : 460 M$
- Réalité : 1,1 G$
Et dans ce milliard, on retrouve :
- Des consultants payés jusqu’à 350 $/h
- Des livraisons précipitées
- Des tests incomplets
- Des heures facturées sans preuve
- Des décisions prises pour protéger l’image, pas l’usager
“Le système a été lancé même si on savait qu’il n’était pas prêt.”
— Rapport du Vérificateur général (févr. 2025)
Un contrat cousu main
Le plus troublant, c’est le contrat.
Attribué à un seul consortium (SAP–LGS), sans appel d’offres ouvert, avec une clause de “partage des risques”… qui protégeait surtout le fournisseur.
Aucune stratégie de repli. Aucun plan B.
Et une gouvernance quasiment inexistante.
“C’était une maudite cochonnerie, mais il fallait que ça passe.”
— Un ancien cadre à la Commission Gallant.
Les silences du haut
Pendant que le public s’énerve, que les agents croulent, que la commission dévoile des documents supprimés, des chiffres maquillés…
Le pouvoir, lui, minimise.
“Ce n’est pas 500 millions qui vont arrêter la Terre de tourner.”
— François Legault, avril 2025 (Journal de Montréal)
Pour les citoyens ?
La Terre, elle, a bien arrêté de tourner.
Ce qu’ils voyaient, eux, c’était un système public qui avait implosé… et qui n’avait même pas dit pardon.
Pas réparé. Pas oublié. Pas pardonné.
- Le portail fonctionne.
Les pannes sont rares. Le service est plus stable.
Mais la confiance ? Elle, ne s’est pas relancée.
Mathieu renouvelle enfin son permis. Mais il ne sourit pas. Il clique en serrant les dents.
Chaque chargement est un rappel du gouffre numérique qu’il a vécu.
“Ils ont réparé leur code. Pas notre confiance.”
— Commentaire Reddit
La SAAQ a promis :
- De meilleurs serveurs
- De vraies formations
- Des audits
- De la transparence
Mais aucune loi n’a été modifiée.
Aucune vraie responsabilité assumée.
Ce n’était pas un simple clic
Mathieu voulait juste faire les choses dans les règles.
Un clic. Un geste banal.
Mais ce clic a réveillé la colère d’une population, la fragilité d’un système, et le cynisme face à un virage numérique bâclé.
Il n’est pas seul.
Ils sont des milliers à avoir vécu la même désillusion.